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à Grenoble, MSH-Alpes, de 10h à 12h, Salle de réunion du 2e étage

Dans le complexe réseau de relations sociales qui compose les sociétés locales de l’Ancien Régime, l’Eglise aussi est structurée comme une communauté au milieu de laquelle jouent un rôle central les relations de parenté. Dans les pratiques religieuses l’intercession représente la base structurelle des relations entre l’individu et ses patrons humains et célestes. Il faut donc partir de cette politique de l’intercession, qui préside à tous les aspects de la vie quotidienne, mais aussi aux rapports avec le divin, pour comprendre le phénomène du prophétisme, en grande partie féminin, dans les premiers siècles de l’âge moderne. Les années à partir de la fin du XVe siècle ont inauguré une longue période de frémissements prophétiques et eschatologiques dans la chrétienté occidentale: le prophétisme est un phénomène d’une troublante intensité dans la péninsule italienne, mais il ne demeure pas ignoré en Europe. L’Espagne et le Portugal connaissent, dans ces années-là, une vraie invasion de prophètes itinérants et de visionnaires, souvent associés aux ordres mendiants. La prophétie joue un rôle clé en Angleterre, dans l’élaboration d’une mythologie dynastique autour des Tudors, et dans le climat de troubles eschatologiques dont est saisie une France déchirée par les guerres de religion. Parallèlement à la théorisation d’un Etat de droit, qui va progressivement remplacer une société fondée sur la négociation et l’intercession, le statut du prophète en tant que médiateur avec le divin entre en crise: en même temps, les phénomènes mystiques tels que visions et prophéties font l’objet d’une croissante méfiance par l’Eglise institutionnelle. Mais l’alliance entre pouvoir politique et autorité charismatique survit : dans l’Etat de Savoie, par exemple, elle s’exprime par les biais d’une culture visionnaire et prophétique largement acceptée. Il s’agit d’une tradition d’utilisation politique de la modalité vision/prophétie qui reste très vive tout au long de l’âge moderne, jusqu’au XIXe siècle: cette tradition n’est pas forcement liée à une critique de l’Etat, dont elle semble, au contraire, manipuler le système symbolique. Il ne s’agit donc pas d’un prophétisme qui vise à légitimer l’ordre civil ou à le contester, mais d’un langage politique et religieux inséré dans l’espace sacré des communautés locales.