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Migration, mariage et société à Venise (XVI-XVIIIe siècle)

Projet de recherche proposé par J.-F. Chauvard (Université Lyon 2-LARHRA), l’Università degli Studi di Padova, l’Archivio storico del Patriarcato di Venezia

Au croisement de l’histoire sociale, de la démographie historique et de l’histoire des institutions, ce programme de recherche, personnel et collectif, entend contribuer à l’étude des migrations dans les sociétés d’Ancien Régime, en particulier, à l’articulation entre mobilité géographique et mobilité sociale à partir d’un terrain d’enquête, la Venise moderne que l’historiographie a érigée en paradigme de la ville-monde et de la ville cosmopolite du fait de la présence de nombreuses communautés étrangères, mais aussi d’une foule de migrants en provenance de ses possessions continentales et maritimes.

Ce projet est centré sur l’impact des migrations sur le marché matrimonial grâce à l’exploitation d’une source exceptionnelle, les examina matrimoniorum, conservées aux Archives historiques du Patriarcat de Venise. Ces enquêtes étaient conduites par l’autorité épiscopale afin d’établir l’état libre des futurs époux, en particulier de tous ceux pour lesquels existait un doute sur leur état matrimonial : les veufs, les vénitiens qui avaient longuement voyagé (marchands, marins, soldats) et tous les immigrés qui se mariaient à Venise. Ce fonds massif, qui débute en 1592 et comporte 20000 enquêtes jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, informe certes sur la population immigrée la plus stable, la plus jeune, la mieux insérée aussi dans les activités économiques de la ville, mais il présente d’énormes potentialités pour reconstituer des parcours migratoires des zones de départ jusqu’à Venise en mettant en lumière les conditions et les étapes de la migration ; pour évaluer, grâce à l’identité des témoins probatoires, le rôle de la communauté d’origine dans la migration et l’accueil ; pour déterminer si la durée de la présence en ville était un paramètre décisif pour expliquer le degré d’exogamie matrimoniale, la prise de distance avec la communauté d’origine et l’élargissement des relations au métier et au voisinage.

Ce fonds documentaire fera l’objet de différents niveaux d’analyse. Il s’agira, d’abord, de le replacer le contexte post-tridentin de disciplinisation des pratiques matrimoniales. Dans le cadre d’un encadrement accru des populations par l’Église, on s’intéressa aux règles de procédure de contrôle et à l’adoption de formulaires d’interrogatoire standardisés qui témoignent de la mise en place d’une routine administrative. Le recours au même dispositif dans d’autres diocèses italiens invite à élargir la comparaison à l’échelle péninsulaire.

La source, croisée avec les actes de mariage, se prête, par ailleurs, à la constitution d’une base de données nominatives, dont le système SyMoGIH développé par le LARHRA (Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes) servira de support. Elle permet, en effet, de conjuguer une exploitation quantitative de l’information (flux migratoires, cartographie des bassins de recrutement, radiographie socio-professionnelle) et une analyse qualitative de parcours individuels et collectifs. L’articulation entre l’approche quantitative et la restitution d’histoires de vie dans un récit historique cohérent n’est pas le moindre défi que pose cette documentation.

L’exploitation du fonds, croisé à d’autres types d’archives (paroissiales, professionnelles, notariales), s’intègre, enfin, à un questionnaire plus vaste sur les effets de la peste de 1630 sur les structures économiques et sociales de la cité. Si la récupération démographique fut lente, on ignore jusqu’à quel point l’épisode a affecté la structure du marché matrimonial et accru les opportunités d’intégration et d’ascension sociale des nouveaux venus. Ce chantier me paraît donc toucher à des questions dont les enjeux historiques, historiographiques et méthodologiques dépassent le strict cadre vénitien.