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ncUn ensemble unique de disques gravés en 1943 et 1944 par des français prisonniers en Bohême a été donné au LARHRA, en vue de leur dépôt aux Archives nationales, après numérisation.
Ces disques, qui ne résultent pas d’un pressage en série mais sont des originaux de studio, qui ont été remis à Henri Chamoux par des particuliers pour numérisation et mise en ligne sur la Phonobase. Durant 60 ans, ils avaient été conservés par Elie-Jean Pascaud (1908-2003), qui fit partie des nombreux français prisonniers durant l’été 1940, envoyés d’office en Allemagne pour 5 ans de travaux forcés. Lui, travaillait dans une aciérie près de Prague. Dans le Stalag IV C, en Bohême, il fut l’homme de confiance, c’est-à-dire qu’il avait le rôle difficile d’intercesseur bénévole de ses camarades prisonniers auprès des autorités allemandes.
Non seulement, les représentations musicales ou théâtrales étaient tolérées dans les camps de prisonniers, mais en l’occurrence, Pascaud et ses camarades ont bénéficié d’une aide de la YMCA, de Genève : ils ont obtenu des instruments de musique et du matériel de studio pour enregistrer les musiciens professionnels prisonniers de ce camp. On trouve une vingtaine de titres dans cet ensemble de disques gravés directement : jazz français, fragments d’opérettes, musique de chambre, déclamation de textes, poèmes rédigés en détention.
Verlaine, musique de Charles Trénet, arrangement Léon Ferreri, orchestre Léon Ferreri, Brüx. Refrain : Cartier. Studios d’enregistrement Geistige Betreuung – Stalag IV C – Wistritz.
Ces disques à caractère unique ont sans doute visé à servir la propagande de Vichy, mais il reste difficile de savoir s’ils y ont véritablement servi : à Paris, au début de l’été 1944, se préparait au Grand Palais l’exposition L’Âme des camps, sous l’égide de la Croix rouge française. La presse collaborationniste annonçait une présentation de « la vie intellectuelle et spirituelle des prisonniers de guerre » et « une image claire et fidèle de la réalité, directement inspirée par les prisonniers eux-mêmes », notamment à travers le sport, l’art sous toutes ses formes, ou l’artisanat. Ouverte le 8 août 1944, l’exposition ferma deux jours plus tard à la suite de l’ordre d’insurrection lancé par la Résistance. Quatre mois après la libération de Paris, l’exposition Le Front des barbelés est mise en place, elle aussi au Grand Palais, et inaugurée par le Général de Gaulle le 31 décembre 1944, réemployant certains éléments de l’exposition L’âme des camps, dépouillés des symboles de Vichy, pour prôner le rassemblement des français autour du GPRF.
En somme, à qui servent ces disques ? On y entend ce prisonnier qui s’exprime lui-même justement sur le thème de L’âme des camps… Cet autre créateur et récitant offre plusieurs exemples de sa poésie du K.G.
Rêver, poésie du K.G. [Kriegsgefangener], de et par G. Rudié.
De l’écoute de ces contenus parlés ou musicaux, de la lecture des textes transcrits, c’est bien plus la douleur du prisonnier qui ressort, que le sens politique… Des contenus cachés sous un étiquetage trompeur, et néanmoins dûment tamponné de l’autorité du Stalag, le confirment, comme cette complainte , « séditieuse »… et misogyne. Et sous un titre pleinement assumé au contraire, La grande relève , on assiste à un improbable cours de langue allemande qui résume surtout le quotidien du prisonnier.
Parmi les artistes de ces disques uniques, se distingue le musicien Léon Ferreri (1905-19??), connu pour avoir joué avant-guerre auprès de Django Reinhardt ou Jean Tranchant. Il était le grand frère d’Albert Ferreri, cofondateur, en 1947, avec Charles Delaunay, des disques Vogue. Il n’est donc pas surprenant de retrouver dans cet ensemble des titres écrits par D. Reinhardt, comme ce Swing 42, ou ce Nuages. Jazzman complet, Ferreri n’en est pas moins à l’aise dans des morceaux classiques qu’il joue au piano ou lorsqu’il dirige l’Orchestre de Brüx Hydrierwerk (Kommando 459). Enfin, parmi les morceaux de musique de chambre, ce fragment du trio 39 de Haydn, le « rondo a l’Ongarese », par des interprètes anonymes, est particulièrement brillant, et digne du très célèbre trio Alfred Cortot, Jacques Thibaud, Pablo Casals qui, une quinzaine d’années auparavant, gravaient les trois mouvements de ce même trio.
Merci à Thomas Henry, à Loïc Pinçon-Desaize, et à la famille Moreira, découvreurs et donateurs généreux, qui ensemble ont permis cette libération de l’oubli.