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Ce numéro présente une histoire comparée des alphabétisations scolaires. En effet, les enquêtes révélant un illettrisme persistant ont mis à mal les histoires nationales pour qui l’action conjuguée de la loi (obligation scolaire) et de la science (méthodes nouvelles) garantissait une entrée en lecture universelle et irréversible. Plutôt qu’un progrès continu, l’approche historique doit repérer comment de nouveaux usages sociaux font changer à la fois les visées scolaires de la lecture et son enseignement.Deux conceptions du savoir lire opposent ainsi la literacy anglo-saxonne et l’alphabétisation, concept usuel des pays de langues romanes. Cet écart est-il imputable à l’héritage religieux (catholique vs protestant), aux visées culturelles (lectures d’instruction vs utilitaires), aux langues (latines vs non latines), à des choix didactiques (méthodes) ? Si le savoir lire n’est pas un invariant, l’analyse comparée des outils peut seule faire percevoir comment le déchiffrage et la compréhension ont (ou non) été articulés dans les pratiques de classe au fil du temps.Le dossier conçu par E. Rockwell et A-M. Chartier présente des manuels en cinq langues, dans huit pays (Italie, Chili, Mexique, Espagne, Portugal, Brésil, France et États-Unis). Des années 1750 aux années 1950, on voit les décalages temporels entre pays, les techniques innovantes (illustrations, outils d’écriture) et la mise en place, vers 1900, des débats actuels entre « méthodes » (syllabique/phonique/globale). L’unanimité des discours théoriques contraste avec l’hétérogénéité des situations (urbain/rural, langue scolaire/langues locales) et en cherchant à ajuster les prescriptions au terrain, les maîtres modèlent de façon inédite les cultures scolaires nationales.