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Descriptif :
Dans le contexte d’une attention croissante portée aux institutions dans le champ des sciences humaines et sociales (économie, droit, sociologie, histoire…) et d’un intérêt renouvelé pour le thème des origines de la croissance et de la domination européennes à l’échelle du système monde, il apparaît crucial de s’intéresser à une institution, celle des privilèges, qui a structuré pendant toute l’époque moderne l’activité économique dans l’ensemble des territoires et des États européens. Le privilège, entendu comme attribution temporaire d’un espace d’action dans le domaine économique, apparaît comme une ressource pour les États, les collectivités et les individus, un cadre à l’intérieur duquel se sont affirmées des réalités diverses, des corporations de métiers aux grandes compagnies de commerce, des premières formes de propriété intellectuelle de l’inventeur aux entreprises capitalistes industrielles ou de services.
De fait, si la capacité des souverains à édicter des normes générales et abstraites pour l’ensemble des sujets est le trait par lequel s’affirme les États modernes, le processus d’assujettissement à une loi générale et un jus commune est loin d’être achevé et général. Dans l’Europe de l’Ancien Régime, celle des sociétés d’ordres, il n’existait, en fait, pratiquement pas de statut général, mais une multiplicité de droits particuliers portés par le privilège, qui ne saurait donc être juridiquement une exception, et ne sera perçu comme tel, jus singulare par opposition au jus commune, qu’à la faveur de la montée en puissance de la notion d’égalité en droit et d’une conception de la loi comme ensemble de normes abstraites applicables à tous.
Or, aucun recensement quantitatif n’a jamais été tenté de ces privilèges économiques, que ce soit à une échelle nationale ou européenne. Le but de ce projet est de combler cette lacune, en repérant, comptabilisant et classant les privilèges dans un certain nombre de territoires européens considérés comme significatifs : la France, l’Angleterre, les aires germanique et italienne. Dans ces deux derniers espaces, un choix d’entités politiques et économiques significatives a été fait : la Saxe et Augsbourg pour l’aire germanique, la République de Venise, l’Etat florentin, le Piémont et le duché de Mantoue pour l’aire italienne.
La période prise en compte va du XVe au premier XIXe siècle : l’ancienneté des privilèges et leur ancrage dans les réalités socio-politiques médiévales, ainsi que l’acte de naissance du privilège d’invention en 1474 à Venise justifient la délimitation amont du projet. En aval, la permanence des privilèges dans une partie de l’aire germanique après l’épisode napoléonien, en France où le droit issu de la Révolution en assume la réalité sous certaines figures et conditions, en Angleterre où les Patents ne font l’objet d’une réforme qu’en 1852, dans les différents Etats italiens enfin, justifie l’enjambement de la période révolutionnaire et l’inclusion du premier XIXe siècle dans le projet. C’est là un point important de ce projet : ne pas considérer que la Révolution française introduit de facto et de jure une rupture brutale dans les processus et les institutions économiques, mais en explorer la nature et la réalité.
L’enjeu du projet PRIVILEGES est clair : il s’agit de comprendre, dans la longue durée de l’existence de cette institution, la manière dont celle-ci contribue à la mobilisation et l’allocation des ressources, à quelles attentes et buts poursuivis elle répond du côté des acteurs et du côté de la puissance publique, et quelles dynamiques économiques, entrepreneuriales, spatiales, elle a contribué à impulser ou à porter.