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Ce colloque est organisé par l’École française de Rome, le LARHRA, l’IDHE.S-ENS Paris-Saclay, l’Università degli Studi di Milano
Coordinateurs : Jean-François Chauvard (Université Lumière Lyon 2), Michela Barbot (CNRS, IDHE.S-ENS Paris-Saclay), Stefano Levati (Università degli Studi di Milano)
Le déclassement social est aujourd’hui un défi politique majeur pour les sociétés occidentales. Avant même d’être au cœur du débat public, il a été un objet d’étude pour la sociologie qui a contribué à définir sa temporalité (intergénérationnelle ou limitée au cycle de vie), ses dimensions protéiformes (individuelles ou collectives) et son ambiguïté car il s’agit autant d’une réalité objective – donc mesurable – que d’un sentiment subjectif tributaire de la perception des dynamiques sociales, autant une expérience qu’une crainte. Interroger le déclassement est donc le moyen, quelque soit l’époque, de pénétrer le fonctionnement du monde social.
Prendre en compte l’Ancien Régime tout en englobant la césure révolutionnaire est le moyen d’observer le phénomène dans le cadre d’une société d’ordres dont la rigidité des frontières sociales évolua dans le temps (alternant des phases de plus ou moins grande ouverture ou fermeture), mais aussi dans une phase de transition et de redéfinition des statuts alors que triomphait une société de classes. Le déclassement n’est pas compréhensible sans l’existence d’un classement. Dans la société contemporaine, celui-ci est sociologique et économique en l’absence de frontières juridiques entre individus, même si leur souvenir peut perdurer. Dans la société d’Ancien Régime, il était fondé sur une pensée hiérarchique qui se matérialisait dans les ordres, le respect des rangs, la transmission des statuts. Mais cette société rigide, car pensée comme naturelle, n’était pas immobile. Si l’historiographie s’est davantage intéressée à la mobilité ascendante qui était aussi plus productrice de sources, elle a abordé le phénomène du déclassement à travers l’étude des cas de dérogeances de la noblesse, celle des pauvres honteux et des institutions d’assistance, et plus récemment de la représentation du déclassement et du sens des trajectoires sociales dans une société hiérarchique.
Ce colloque, qui entend embrasser tout le spectre social, se structurera autour de quelques axes de réflexion.
Les discours sur le déclassement. Traiter du déclassement sous l’Ancien Régime pose la question de l’usage de catégories d’analyse mobilisées par les historiens pour étudier les sociétés anciennes. Le déclassement est ainsi lié à l’appauvrissement sans en être synonyme. Les revers de fortune y menaient s’ils s’accompagnaient d’un changement de mode de vie qui actait un changement d’état. Le déclassement naissait de la perte de ressources matérielles et symboliques – comme l’honneur – qui obligeaient à un comportement et à des choix jugés dégradants au regard du statut social. Il ne peut donc être défini de manière absolue, mais toujours de manière relative en fonction de la position des personnes. C’est pourquoi il importe, dans la mesure du possible, de prendre en considération les discours des acteurs historiques, discours qui n’étaient pas nécessairement semblables aux nôtres, et qui n’étaient pas identiques dans le temps. La perception de l’abaissement de la position sociale était fonction des normes et des représentations associées au milieu d’appartenance. Le déclassement était apprécié par les acteurs sociaux en fonction des attentes et des caractères prêtés aux groupes sociaux ou aux familles en fonction de leur rang. Il assumait une dimension éminemment morale en étant associé au déshonneur, à la chute, à la déchéance. On s’intéressa dans la production du discours non seulement à l’expérience du déclassement mais aussi à la crainte – proportionnelle à la position hiérarchique – qu’inspirait la perspective de la marginalisation sociale.
Le déclassement comme itinéraire. On se propose, en outre, d’appréhender le déclassement non pas comme un changement d’état dont on évaluerait les causes et les conséquences, mais comme un processus qui s’inscrivait dans différentes échelles temporelles. La première dimension était celle de l’individu dont il importe de reconstituer – en fonction du moment du cycle de vie – la trajectoire avec ses points de ruptures, ses paliers et ses inflexions qui conduisent à un changement de condition. La difficulté est de faire la part des revers passagers ou du dénuement conjoncturel et du déclassement qui n’était pas nécessairement un processus irréversible comme le montre, pour le second ordre, l’existence de procédures de mise en veille du statut pour rendre praticable la dérogeance. Le phénomène oblige à prendre en considération l’échelle des générations en interrogeant les modalités de la reproduction sociale et de la transmission des statuts. Dans cette perspective, il faut prendre garde de ne pas interpréter le changement de métier d’une génération à l’autre ou entre branches de la même famille comme un indice de différenciation et de mobilité sociale (ascendante ou descendante) sans prendre en compte les univers sociaux d’appartenance qui leur donnaient sens et qui permettent d’évaluer l’orientation d’une trajectoire personnelle ou familiale. Il semble donc qu’un changement de statut doive être appréhendé à partir du système de référence et en relation avec la position des autres. La prise en compte du temps vient rappeler que le déclassement n’était pas seulement une affaire de capacités individuelles, mais qu’il avait à voir avec la conjoncture et avec ce que les sociologues appellent la mobilité structurelle, c’est-à-dire celle qui est imposée par l’évolution des structures démographiques, économiques et politiques.
Situations de déchéance. En contrepoint de l’approche processuelle précédente, on entend questionner les situations qui, aux yeux des contemporains, conduisaient à la déchéance. Plusieurs situations retiennent l’attention. La première regarde la perte d’indépendance à une époque où vivre du sien était une source de distinction et d’appartenance sociales. On peut y rattacher les cas de faillite et d’endettement qui se traduisaient par une perte de crédit, dans toutes les acceptions du terme, au risque de subir une véritable mort sociale. La deuxième concerne les cas de dérogeance qui entraînaient la perte de privilèges, voire l’exclusion du groupe d’appartenance. La préservation du statut social apparaît alors secondaire au regard de la nécessité de la survie économique. La troisième situation englobe la mésalliance et la naissance illégitime qui étaient, pour la descendance, lourdes de conséquences sur le plan du statut, de la succession patrimoniale, de l’accès à certaines fonctions et de la réputation, elle-même modulée par la position sociale. On peut aussi s’interroger sur la condition de cadets dans la noblesse par rapport à celle de l’aîné promis à perpétuer la position familiale. Enfin, il n’est pas inutile de porter l’attention sur des actes d’exclusion, comme la perte de citoyenneté, qui entraînait la privation de droits et l’exclusion de la communauté et sur l’installation dans des lieux et des habitations dégradées qui actaient le déclassement.
Les freins au déclassement. La hiérarchie sociale, parce qu’elle était conçue comme naturelle, était consolidée par des dispositifs juridiques et institutionnels. On entend porter l’accent sur les modalités d’activation de ces ressources par les acteurs et les pouvoirs qui en avaient la maîtrise. La dérogeance apparaît alors dans sa double dimension car si elle se traduisait par la perte de statut, elle permettait aussi de le recouvrer une fois rétablies les conditions de vie qui lui étaient associées. On sait que l’aide institutionnelle (sous forme d’aide à domicile des pauvres honteux ou de mise à disposition d’un logement par les institutions caritatives) était inspirée par le principe de la justice distributive qui donnait à chacun selon sa condition ; on peut se demander si ces formes d’assistance n’étaient pas activées une fois la déchéance avérée, si bien qu’elles ne visaient pas à rétablir une position hiérarchique, mais à freiner un changement de condition inéluctable en défendant la stabilité de l’ordre social.
Langues
Français, anglais, italien
Calendrier
– septembre 2017 : appel à communication
– 30 novembre 2017 : remise des propositions d’intervention (3500 caractères maximum)
– 31 décembre 2017 : sélection des interventions et définition du programme
– 30 avril 2018 : remise des textes des communications
– 24-25 mai 2018 : colloque à l’École française de Rome
Contacts
Jean-François Chauvard (jean-francois.chauvard@univ-lyon2.fr)
Michela Barbot (michela-sara.barbot@ens-paris-saclay.fr)
Stefano Levati (stefano.levati@unimi.it)