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Le monde des pierres, minéraux et fossiles, celui en somme de tous les objets qui ressortent de la terre, a constitué un terrain d’observation fascinant et épineux pour les savants de la première époque moderne qui ont tenté de déchiffrer la Nature. Plusieurs d’entre eux se plaignent des lacunes des anciens (notamment par rapport au vocabulaire, mais pas uniquement), et manifestent le souci de rétablir un panorama équitable des différents aspects du monde naturel, en étendant l’intérêt pour les plantes et les animaux au domaine minéral. Pour certains, cette entreprise de réhabilitation relève d’une véritable politique de la nature, au sens où il s’agit de se positionner au sein de réseaux dont l’apparente neutralité au service du savoir n’est pas sans dissimuler des tensions et des formes de compétitions religieuses et/ou géo-politiques.

 Cette première rencontre voudrait amorcer un cycle d’ateliers autour de la manière dont les frontières entre l’animé et l’inanimé ont été alors pensées, problématisées, ou au contraire esquivées, dans les enquêtes sur la nature. Cette borne indécise et mouvante, telle sera notre hypothèse de départ, aurait joué un rôle clé, par ce qu’elle exclut et par ce qu’elle intègre, dans la construction d’un savoir sur les notions de vivant, de nature et d’âme, ce qui n’est pas sans charrier d’importants enjeux théologiques : n’est-ce pas difficile d’accepter qu’il y ait quelque chose d’inanimé dans la création divine ?

            Cette première séance aura valeur exploratoire : il s’agira d’essayer de comprendre la manière dont les savants renouvelant les fondements de l’histoire naturelle ont abordé cette problématique de l’inanimé. Pourquoi ont-ils estimé cette démarche urgente, voire même prioritaire ? Quels objets de la nature les ont intrigués ou gênés ? Lesquels ont-ils retenus pour délimiter un périmètre d’enquête ?

            Dans ce cadre, trois axes principaux guideront notre réflexion :

 I. LES MOTS POUR LES DIRE  

            Ces défis épistémologiques sont indissociables d’enjeux discursifs : face aux lacunes du savoir hérité, déplorées par ceux qui prétendent y remédier, quel lexique faut-il trouver ou même inventer pour décrire ces indicibles inanimés? 

II. CATEGORISER et CLASSIFIER  

À ces défis de la nomenclature s’ajoutent ceux du classement : quelles logiques sous-tendent les stratégies de catégorisation de ces objets considérés comme inanimés ? Dans quelle mesure résistent-ils à la description et au classement ? La question de leur rangement se pose sur deux plans, celui de l’espace physique dont jouit le collectionneur, et celui du livre et de la page qui en font l’inventaire. Où disposer ces objets « inanimés » et quels contenants utiliser (armoires/tiroirs, etc.) ? Demandent-ils un type de rangement particulier ? Quelle est leur place dans les histoires de la nature ?

III. COMMENT LES APPREHENDER

            Une herméneutique de l’inanimé requiert le croisement fascinant entre des ordres de réalité, des registres de sensibilité et des régimes de connaissance, tant théoriques que pratiques, différents. Sur quels types d’acteurs s’appuyent les naturalistes pour façonner ce savoir dont ils affirment la nouveauté ? Que font-ils du bagage antique et médiéval ? On s’intéressera aux échanges de la culture savante avec des artisanats et des professions manuelles (les orfèvres, les distillateurs, les mineurs…), qui concurrencent l’héritage philologique.

            Faisant jouer, comme les autres objets des cabinets de curiosité, le lien entre pièce unique et catégorie générique, l’écriture de l’inanimé travaille l’articulation entre ces deux ordres du savoir, la scientia, qui vise l’étude des généralités, et l’historia, la science des particularités. Quelle spécificité reconnaître alors aux inanimés par rapport aux autres objets de la curiosité renaissante ?