Las ciencias sociales y la muerte, TRACE n° 58 (Les sciences sociales et la mort)

TRACE 58 LES SCIENCES SOCIALES ET LA MORT(LAS CIENCIAS SOCIALES Y LA MUERTE)Les douze contributions ici réunies s’attachent en premier lieu aux univers matériels de la mort : les implantations des cimetières et leurs rapports avec les lieux de culte, l’inscription de la cosmovision dans l’espace sépulcral, le bouleversement et l’adaptation des rituels funéraires, leur normalisation, en fonction des croyances mais aussi du statut social des défunts, leur tendance à l’homogénéisation. La mort y est envisagée comme un enjeu sociétal, à la confluence entre les identités familiales et le contexte politique et socio-économique. La démarche adoptée par les auteurs est celle d’un dialogue entre temporalités et espaces, en centrant le propos sur la relation entre les vivants et les morts. L’esprit de synthèse, l’appareil critique y sont constants, ce qui a permis de réunir un nombre significatif de contributions.Les thématiques sont larges : l’analyse des cimetières et des sépultures se fixe chez les Tarasques du Michoacán (Grégory Pereira), dans l’Europe, de l’Antiquité jusqu’à l’époque moderne (Isabelle Séguy), dans la ville de Naples au XVIIIe siècle (Diego Carnevale), dans la France contemporaine (Régis Bertrand). Les auteurs observent également les transformations majeures dans l’administration des sépultures en contexte urbain, au XVIIIe siècle à Paris (Laurence Croq), tout comme les réticences à améliorer les politiques sanitaires de la ville de Mexico au début du XXe siècle (Sonia Alcaraz Hernández). Les rituels funéraires sont des préoccupations majeures des auteurs qui en suivent les évolutions : rituels destinés aux nouveau-nés dans l’Europe médiévale et moderne (Isabelle Séguy), rituels orchestrés par les Huguenots (Yves Krumenacker), par les catholiques en France et en Italie au XVIIIe siècle (Laurence Croq, Diego Carnevale), ou encore par les populations du Sénégal immigrées en France (Jacques Barou). L’interface entre les vivants et les morts crée une mémoire des défunts. Les identités familiales se construisent avec les ancêtres. Ainsi, les épitaphes créent une identité familiale (Alma Victoria Valdés), les photographies préservent une image vivante du corps inanimé (Diego Fernando Guerra). Le retour perpétuel des morts parmi les vivants dynamise les rituels sub-sahariens (Jacques Barou). Souvent vécue comme une fatalité, la mort peut aussi être synonyme de libération. Au XVIIIe siècle, pour les esclaves des petites Antilles françaises, la mort de soi est avant tout la mise à mort de conditions de vie effroyables. Le suicide a pour objectif d’infliger au détenteur de la vie -propriétaire d’esclaves- une profonde souffrance : c’est une forme de vengeance (Elsa Malvido). Enfin, la maladie et son lot de souffrances fait souvent partie de la fin de vie ; revendiquer une mort sans souffrance est une exigence commune aux soins palliatifs et à l’euthanasie (Pascal Hintermeyer).Notre publication renoue avec des thématiques-clés et ce n’est pas un hasard si d’éminents spécialistes du sujet participent à ce projet en approfondissant questions, problématiques et méthodes. Plusieurs auteurs font partie de la génération pionnière d’historiens ayant abordé la mort. Ainsi, la réflexion que mène Régis Bertrand sur les méthodes d’analyse des cimetières français (et leurs limites) est ici centrale : il ne suffit pas en effet d’avoir « un terrain » pour conclure à une recherche scientifique ; l’« archéologue du XXe siècle » doit prendre en compte les dernières évolutions des cimetières : disparition ou ajout de tombes, restauration, modernisation des structures conduisent le cimetière à être un objet en perpétuel changement. Et surtout, tout l’oblige à soumettre l’analyse à la lumière d’autres sources (sources écrites, plans de cimetières, dessins de tombes et d’ornements). De la globalité « cimitériale » à l’intimité des liens familiaux, Régis Bertrand et Alma Victoria Valdés nous invitent à arpenter les allées des cimetières, à déchiffrer les messages laissés par les survivants dans les cités-jardins des défunts.Nadine Béligand est maître de conférences à l’université Lumière Lyon 2, actuellement en délégation CNRS auprès du CEMCA (Mexico). Ses recherches portent notamment sur l’histoire religieuse et culturelle du Mexique (XVIe-XVIIIe siècles). Elle est membre du laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (UMR 5190 LARHRA).